Proposition de loi « Assistance médicalisée pour mourir »
Madame la Présidente / Monsieur le Président Monsieur le Ministre, Mes cher(e)s collègues,
Pour commencer mon discours, je souhaiterais citer un passage du philosophe André Comte-Sponville sur les six raisons de légiférer concernant l’aide active à mourir : « Certes, c’est la vie qui vaut, mais elle vaut d’autant plus qu’elle est davantage libre. C’est en ce sens que le Comité consultatif national d’éthique a raison de parler d’une exception d’euthanasie. Qui dit exception dit règle. La règle, évidemment, c’est le respect de la vie humaine, mais respecter vraiment la vie humaine c’est aussi lui permettre de rester humaine jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la mort inclusivement ».
Depuis quelques années en France, le vif débat que suscite « l’aide active à mourir », témoigne du besoin de légiférer sur la question. La proposition commune, qui nous est présentée aujourd’hui, est une progression, que nous devons notamment à Vincent et Marie Humbert.
Cette proposition de loi s’inscrit dans le prolongement d’une suite d’avancées réelles qui ont eu lieu ces dernières années, notamment grâce à la loi de juin 1999 garantissant l’accès de tous aux soins palliatifs, à la loi Kouchner de 2002 sur les droits des malades et enfin, en 2005, la loi Léonetti qui cherche à éviter l’acharnement thérapeutique en autorisant l’arrêt des traitements et permet au médecin de traiter la souffrance des malades.
La loi Léonetti met en place un dispositif permettant de mettre fin à l’alimentation artificielle. Toutefois, cette loi ne va pas assez loin et ne répond pas au vœu des personnes qui, tout en souhaitant mourir ne veulent pas pour autant interrompre l’alimentation artificielle. Tel était le cas du jeune Humbert qui souhaitait mettre un terme à une vie qui lui était devenue insupportable, mais ne voulait pas mourir de faim ou souffrir. Il souhaitait partir le jour et le moment où il l’avait décidé.
En l’état actuel des choses, la loi permet au patient qui déciderait de l’arrêt des traitements, de se laisser mourir de faim. Il est difficile d’accepter de laisser un patient mourir par arrêt des traitements – y compris l’alimentation – avec possibilité d’agonie pendant un certain temps. Bien souvent, les malades ne veulent pas agoniser et ne souhaitent pas perdre leur dignité.
Aujourd’hui, notre législation permet donc de « laisser mourir », mais refuse toujours que l’on provoque délibérément la mort, même à la demande du malade. Si les soins palliatifs visent à soulager ou à atténuer la souffrance, on sait aujourd’hui qu’ils ne visent en aucun cas à prendre en compte la demande d’aide à mourir. Cette proposition de loi sur « l’assistance médicalisée pour mourir » apporte une réponse aux personnes qui, comme le jeune Vincent Humbert sont confrontées à une situation médicale grave et sans issue.
Cependant, ne nous trompons pas de débat. Il ne s’agit pas, ici, de légaliser l’euthanasie pour tout le monde. Cette aide active à mourir ne concerne que des personnes qui sont dans une situation médicale GRAVE et sans issue, dans de grandes souffrances, et qui souhaitent partir en en faisant la demande. Ces personnes font un choix. On parle bien ici de situations exceptionnelles.
Même si aujourd’hui, la loi prend en compte la plupart des situations, il reste toutefois la question des personnes dont l’arrêt du traitement ne suffit pas à les soulager, et qui ne souhaitant pas être plongées dans le coma demandent lucidement une aide active à mourir.
Lorsque l’on est en phase terminale, la douleur physique ou psychologique est parfois insupportable, on peut alors vouloir ne plus vivre et donc, réclamer une aide active à mourir et non pas des soins palliatifs. Cette décision est une responsabilité qui ne peut, ni peser exclusivement sur les épaules des médecins, ni sur celles des proches des malades
Pourquoi légiférer ? Faire une loi sur l’assistance médicalisée à mourir est la seule façon de la contrôler efficacement et de combattre d’éventuelles et réelles dérives. Règlementer c’est éviter que des patients conscients, soient euthanasiés sans qu’on leur demande leur avis. Nous devons reconnaître que l’euthanasie existe et, est pratiquée de manière clandestine ; légiférons justement pour combattre ce genre de dérive et pour instaurer un certain nombre de contrôles. Nous ne pouvons ni laisser aux médecins, ni aux proches des malades, le poids d’une telle responsabilité. La loi permettra d’assumer collectivement cette responsabilité afin que les médecins et les proches, puissent ensuite individuellement assumer la charge qui leur revient.
De plus, la loi permettra non pas de dépénaliser purement et simplement l’euthanasie mais à reconnaître une exception d’euthanasie strictement encadrée par le code de la santé publique.
Je comprends, bien sûr, les inquiétudes des personnes qui ne sont pas favorables à ce texte car nous sommes face à des problèmes de fin de vie, à une réflexion éthique complexe.
Cependant, la proposition de loi qui nous est présentée permet d’encadrée l’assistance médicalisée pour mourir car le médecin sollicité par le malade doit notamment saisir deux confrères, mais aussi proposer au patient les soins palliatifs disponibles comme alternative à sa décision. Le choix du patient reste en outre « révocable à tout moment ». Les professionnels de santé volontaires – chaque médecin ayant la possibilité de refuser de fournir lui-même cette assistance – devront par ailleurs suivre « une formation sur les conditions de réalisation d’une assistance médicalisée pour mourir ».
Par ailleurs, la loi sur l’assistance médicalisée à mourir ne marque pas la fin du développement des soins palliatifs. Bien au contraire, le texte confirme l’obligation de proposer à tous les malades l’accès aux soins palliatifs adaptés à leur situation.
Oui, accompagner la mort dans la dignité est un acte d’amour, qu’il s’agisse d’accompagner des personnes âgées atteintes de maladies dégénératives à l’évolution inexorable, des personnes, parfois malheureusement jeunes, foudroyées par des affections incurables, ou encore des victimes d’accidents ayant généré des lésions irréversibles, empêchant tout espoir de retour à un minimum d’autonomie de vie.
Aujourd’hui, on sait très bien qu’en France, on pratique des aides actives à mourir dans la clandestinité. Bien que les estimations soient difficiles à réaliser, on évalue à 1800 par an le nombre des euthanasies clandestines pratiquées en France de manière inégalitaire et anarchique. Pourquoi ne pas agir en toute transparence afin de ne plus être dans l’illégalité et ainsi accompagner le malade et son entourage avec une équipe médicale formée. Une société ne doit pas vivre en décalage trop important entre les règles affirmées et la réalité vécue. Nous ne pouvons pas rester dans une hypocrisie.
Pour finir, j’insisterai sur l’importance de la vie. En effet, à tout moment la volonté de vivre doit l’emporter sur celle de mourir. Cependant, il peut arriver un moment où la volonté de mourir l’emporte sur l’intérêt de vivre parce que l’individu est parvenu aux limites du supportable. Et c’est à ce moment là qu’il est important de prendre en compte la volonté du patient et de la famille dans une situation médicale grave et sans issue.
Pour avoir travaillé en milieu hospitalier, je peux vous assurer que parfois, face à certaines détresses, quand tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, la demande de délivrance devient un droit. Elle doit être l’expression de notre dernière liberté.